S'exprimant lors d'une conférence magistrale au Théatre Manzoni de Bologne, le cardinal Caffarra a qualifié de « séisme » le résultat de la reconnaissance des unions homosexuelles. Je vous propose ma traduction de ce discours d'une grande clarté, en deux parties. – J.S.
Je voudrais m’entretenir avec vous d’une question dont que cette réflexion montrera qu’elle est importante.
Au fond de notre réflexion il est une question à laquelle je ne répondrai pas directement, mais qui l’accompagnera. C’est celle-ci : le mariage est-il une réalité qui est à l’entière disposition des hommes ou au contraire comporte-t-il en lui-même un “socle dur” indisponible ? Puisque nous savons, sans être étudiants en logique, que la définition de A, par exemple, est la réponse à la question : « Qu’est-ce que A », nous pouvons reformuler cette question de fond de la manière suivante : la définition du mariage – ce qu’est le mariage – dépend-elle exclusivement du consensus social ? Est-ce le consensus social qui décide ce qu’est le mariage ?
Si maintenant je commence à vous parler de la vérité de la conjugal, je peux le faire dans la mesure où je pense que la définition du mariage, sa nature intime, n’est pas exclusivement le fruit du consensus social. Sinon, toute la réflexion que nous menons n’aurait pas de sens. A la question, « Qu’est-ce que la conjugalité ? », tout se résumerait dans la réponse : ce que le consensus social a décidé qu’elle soit.
1. La vérité de la conjugalité.
Partons donc de l’actualité : la reconnaissance d’une « conjugalité homosexuelle » a été introduite dans de nombreux ordres étatiques. Cela veut dire : la différence sexuelle est sans objet dans l’ordre de la définition de la conjugalité. Les conjoints qui concluent le pacte conjugal peuvent être tous les deux du même sexe.
Dans le même temps, et toujours dans ce cas, l’amitié conjugale demeure une affection qui comporte une dimension sexuelle. C’est ce qui distingue l’amitié conjugale des autres formes d’amitié.
Objectivement – c’est-à-dire, qu’on le pense ou qu’on ne le pense pas, qu’on le veuille ou qu’on ne le veuille pas – la définition de la conjugalité, implicite dans la reconnaissance de la couple homosexuelle, dissocie totalement la conjugalité elle-même de l’origine de la personne humaine. La conjugalité homosexuelle est incapable de créer les conditions du surgissement d’une nouvelle vie humaine. Ainsi de deux choses l’une : ou bien nous ne pouvons penser la conjugalité dans la forme homosexuelle ou bien l’origine d’une nouvelle personne humaine n’a rien à faire avec la conjugalité.
Continuons de réfléchir sur cette dissociation. Elle semble contredite par le fait que les mêmes ordonnancements juridiques qui ont reconnu la conjugalité homosexuelle, ont reconnu en même temps le droit à l’adoption ou au recours à la procréation artificielle. Mais de deux choses l’une. Ou bien ce droit reconnu fait que ce à quoi on a fermé la porte entre par la fenêtre. C’est-à-dire : il existe une perception indestructible, une évidence du lien procréation-conjugalité. Ou bien l’on considère comme éthiquement neutre la manière dont la vie d’une nouvelle personne humaine est suscitée. Et donc on tient pour indifférent qu’elle soit engendrée ou produite.
Arrêtons-nous un instant pour réfléchir au le chemin parcouru. Notre réflexion a fait le parcours suivant. Alors que jusqu’à un temps très récent, le terme « conjugalité » était univoque, il n’avait qu’une signification, et il véhiculait la représentation d’une seule réalité, l’affection sexuelle entre homme et femme, il est devenu aujourd’hui ambigu, car il peut signifier aussi une conjugalité homosexuelle. De cette Ambiguïté résulte une dissociation totale et objective du commencement d’une nouvelle vie humaine depuis la conjugalité. Voilà le parcours que nous avons fait jusqu’ici : (a) le terme conjugalité a été rendu ambigu ; (b) l’origine d’une nouvelle personne humaine a été déconnectée de la conjugalité. Réfléchissons maintenant un instant à cette déconnexion.
Il s’agit d’un réel et véritable séisme dans les catégories de la généalogie de la personne. C’est une chose très sérieuse. Le temps dont je dispose m’oblige à être bref.
La catégorie de la paternité-maternité disparaît, supplantée par la catégorie générique de la génitoralité. Disparaît aussi la dimension biologique comme élément (il n’est pas seul !) constitutif de la généalogie, alors que la généalogie de la personne est inscrite dans la biologie de la personne. La conception – l’événement qui constitue la relation ontologique avec le père et la mère – peut être un fait purement artificiel. La catégorie de la génération devient une option dans le « récit de la généalogie ».
Qu’en est-il alors de la personne humaine qui entre dans le monde ? C’est une personne intimement seule, car privée des relations qui font qu’elle est.
Le fait de parcourir ce chemin que de nombreuses sociétés occidentales sont en train de parcourir, nous mène à une conclusion. C’est celle-ci : poser que la conjugalité soit un terme vide de sens, auquel le consensus social peut donner la signification qu’il décide, c’est la dévastation du tissu fondamental de la société humaine : la généalogie de la personne.
C’est dans ce contexte culturel que nous devons nous interroger sur la vraie nature de la conjugalité : découvrir la vérité de la conjugalité.
La masculinité et la féminité sont des différences expressives de la personne humaine. Ce n’est pas qu’il existe une personne humaine qui a un sexe masculin ou féminin : il existe une personne humaine qui est homme ou femme.
Nous ne pouvons oublier ne serait-ce qu’un instant que le corps n’est pas simplement une chose que l’on possède, une possession de la personne. La personne humaine est son corps : c’est une personne-corps. C’est le corps de la personne, un corps-personne.
La féminité/masculinité ne sont pas de simples données biologiques. Elles configurent la face de la personne ; elles en sont la « forme ». La personne est « formée », construite fémininement ou masculinement.
Pourquoi existe-t-il deux « formes » de l’humanité, la forme masculine et la forme féminine ? La Sainte Ecriture, qui trouve par ailleurs sa confirmation dans notre expérience la plus profonde, répond ainsi : parce que chacun des deux peut sortir de sa « solitude originelle », et se réaliser dans la communion avec l’autre (cf. Gen 2).
Etant enracinés dans la même humanité, l’homme et la femme sont capables en même temps de constituer une communion de personnes et de trouver dans cette communion leur propre plénitude en tant que personnes humaines.
Cette capacité, caractéristique de l’homme en tant que personne, la capacité du don de soi, a une dimension à la fois spirituelle et corporelle. C’est précisément à travers le corps que l’homme et la femme sont prédisposés à réaliser cette communion des personnes, en laquelle consiste la conjugalité. C’est le corps masculin/ féminin qui est le langage non seulement expressif, mais aussi efficace de la conjugalité.
Dans la conjugalité ainsi comprise, s’enracinent et s’inscrivent la paternité et la maternité. C’est seulement dans le contexte de la conjugalité que la nouvelle personne peut être introduite dans l’univers de l’être d’une manière conforme à sa dignité. Elle n’est pas produite, mais engendrée. Elle est attendue comme un don, et non exigée comme un droit.
Avant d’achever notre réflexion sur la vérité de la conjugalité, je voudrais soumettre à votre attention trois conclusions. Elles mériteraient qu’on y réfléchisse longuement. Je ne fais que les énoncer.
Première conclusion. Seule cette vision de la conjugalité respecte toute la réalité de notre humanité : c’est celle qui introduit à une véritable anthropologie qui lui correspond. Elle ne réduit pas le corps à une réalité privée de sens, sinon celui qui lui serait librement attribué par l’individu. Elle voit au contraire la personne humaine comme une personne-corps et le corps comme corps-personne, et donc comme personne-homme et comme personne-femme.
Deuxième conclusion. Un telle vision de la conjugalité affirme en même temps la plus haute autonomie du Je dans le don de soi, et l’intrinsèque relation au « différent », dans le sens le plus profond du terme. La « conjugalité » (pour ainsi dire) homosexuelle transmet au fond objectivement ce message : « La moitié de l’humanité, je ne sais qu’en faire, et pour la réalisation la plus intime de moi-même, elle est superflue. »
Troisième conclusion. Une telle vision de la conjugalité enracine la sociabilité humaine dans la nature même de la personne humaine : prima societas in coniugo. Première non au sens chronologique, mais ontologique et axiologique. Et cela empêche la réduction du « social humain » au contrat.
2. Le bien de la conjugalité.
Ayant vu ce qu’est la conjugalité, demandons-nous maintenant quelle est sa valeur, son grand prix propre et spécifique. En un mot : sa bonté.
Avant d’entrer dans la seconde partie de notre réflexion, je dois poser une prémisse assez importante. Il existe une vérité sur le bien de la personne, qui peut être partagée pas toute personne douée de raison. Que signifie « la vérité sur le bien » ? Cela ne signifie pas en premier lieu ce que l’on doit ou ne doit pas faire. C’est la perception de la valeur propre d’une réalité (dans notre cas : la conjugalité).
Je prends un exemple. En voyant la Pietà de Michel Ange, nous « voyons » une beauté sublime, ce qui fait que ce morceau de marbre est unique : il a en soi sa propre valeur. En ce cas : une valeur esthétique.
A la question qu’est-ce que le bien /qu’est-ce que le mal, la réponse n’est pas de dire de manière simpliste : c’est ce que chacun pense être bien/mal, sans que personne ait la possibilité de partager une même réponse. Il existe au contraire une vérité sur le bien, qui peut être découverte et partagée par toute personne douée de raison. Nous autres, nous cherchons quelle est la valeur propre de la conjugalité, sa précieuse spécificité, sa beauté évidente. Le bien qu’est la conjugalité présente deux aspects fondamentaux.
Le premier. La conjugalité est une communio personarum. La bonté propre de la conjugale est une bonté de communion. J’aimerais que nous notions quelques-unes de ses dimensions.
(a) Une telle relation ne peut exister qu’entre personnes, et son fondement consiste en la perception de la bonté, du caractère précieux propre à la personne. Les conjoints sont, l’un pour l’autre, des personnes.
(b) La communio personarum qui constitue le bien de la conjugalité n’est pas fondée sur les émotions, sur la simple attraction physique : même les animaux sont capables de liens basés sur cela. Seules les personnes sont capables de la promesse suivante : « Je promets de t’être toujours fidèle… tous les jours de ma vie. » Seules les personnes sont capables de vivre en communion, car seules les personnes sont capables de se choisir de manière libre et consciente.
(c) Seule la personne est capable de faire le don d’elle-même et seule la personne est capable d’accueillir ce don. La personne – et la personne seulement – est capable d’autodonation, parce qu’elle est capable d’autopossession, dans la force de sa liberté. Il est évident qu’elle ne peut donner ce qu’elle ne possède pas, et la personne peut se posséder elle-même dans la force de sa liberté. Mais la personne peut aussi renoncer à sa liberté, et se maintenir au niveau où elle se laissera conduire par le mainstream social ou par ses propres pulsions. La conjugalité est particulièrement exposée à ce piège.
(d) La communion personarum conjugale – autodonation et accueil réciproque – plonge jusque dans l’intimité de la personne : au « Je » lui-même. C’est la personne en tant que telle qui est donnée/accueillie. C’est là peut-être le mystère le plus profond de la conjugalité. Vous savez bien que la Sainte Ecriture désigne le rapport sexuel homme-femme par le verbe « connaître ». Il s’y vit une révélation de l’un à l’autre dans leur identité intime.
C’est dans cet événement que peut s’introduire une sorte d’indolence, de paresse spirituelle qui empêche les conjoints d’aller au bout de cet acte qui ne peut naître que de leur centre spirituel et libre. Et alors la communion des personnes s’engourdit.
Le deuxième aspect de la valeur éthique qui est le propre de la conjugalité, c’est la capacité qui lui est intrinsèque d’être à l’origine d’une nouvelle personne humaine.
La possibilité de donner la vie à une nouvelle personne est inscrite dans la nature même de la conjugalité. C’est elle, dans l’univers créé, la plus haute capacité et la plus haute responsabilité dont disposent l’homme et la femme. Elle est l’un des « points » où l’action créatrice de Dieu entre dans notre univers créé. Le temps dont je dispose ne me permet pas de prolonger la réflexion sur ce thème sublime.
Conclusion
Deux simples réflexions pour conclure. La première. Vous avez remarqué que je me suis bien gardé d’utiliser le mot amour. Pourquoi donc ? Parce qu’il a fait l’objet… d’une sorte de vol à la tire. L’une des paroles-clef de la proposition chrétienne, l’amour justement, a été prise en otage par la culture moderne et elle est devenu un terme vide, une espèce de récipient où chacun met ce qu’il sent. La vérité de l’amour est aujourd’hui difficile à partager. « Dépourvu de vérité, la charité bascule dans le sentimentalisme. L’amour devient une coque vide susceptible d’être arbitrairement remplie. C’est le risque fatal auquel est exposé l’amour dans une culture sans vérité » (Benoît XVI, Caritas in veritate 3).
La deuxième. Les témoins de la vérité de la conjugalité auront la vie dure, comme il n’est pas rare que cela arrive aux témoins de la vérité. Mais il s’agit là de la tâche la plus urgente de l’éducateur.
Cardinal Carlo Caffarra
archevêque de Bologne

 

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